La quarantaine : quel sens tirerons-nous de cette épreuve?

Chers frères et sœurs !

C’est une période d’épreuve qui a commencé pour chacun d’entre nous. Beaucoup ont perdu leur travail et leur gagne-pain. Personne n’a le droit de sortir de chez lui, sous peine de sanctions. Nous sommes tous privés d’offices, de prière commune, de sacrements. Nul ne sait combien de temps prendra notre quarantaine, mais il est évident pour tous que ce n’est pas une question de jours. Notre ville est actuellement frappée par une période de contamination intense, et nous n'en sommes pas encore au pic de l'épidémie.

Oui, le Grand carême, cette année, n’est pas seulement privation de nourriture terrestre, mais également de nourriture céleste. Comment considérer cela ? Comment, non seulement accepter cette situation à laquelle nous ne pouvons rien changer, mais y déceler la volonté de Dieu, le dessein de Dieu pour notre paroisse, pour chacun d’entre nous ? En ce moment, toute l’Italie qui nous a accueillis, est obligée de renoncer à son mode de vie habituel. Et nous, qui sommes orthodoxes, nous sommes appelés à aller plus loin.

Avant tout, nous n’avons aucun droit, ni spirituel, ni moral, ni même simplement humain d’enfreindre les interdictions, d’aller à l’encontre des indications du gouvernement : « vous nous interdisez, mais nous allons faire à notre façon, nous réunir en secret, célébrer portes fermées quoi qu’il arrive ». Aujourd’hui nous sommes incités à obéir aux règles sévères de sécurité, non seulement par le gouvernement italien et l’administration de Lombardie, mais aussi par notre métropolite, Monseigneur Ioann. Je vous rappelle ce que vous savez déjà : le simple fait de rester dans un lieu fermé à proximité les uns des autres est dangereux pour chacun d’entre nous. Personne n’a le droit de tenter Dieu en mettant sa vie en danger, et encore moins de risquer la vie de son prochain. En tant que recteur de la paroisse, portant la responsabilité de chacun d’entre vous, je suis forcé de confirmer, la mort dans l’âme, ce que j’ai déjà dit oralement la dernière fois que nous nous sommes réunis dans l’église : il n’y aura pas d’office tant que le Seigneur ne permettra pas que nous nous réunissions à nouveau.

Aussi, réfléchissons ensemble : quel sens pouvons-nous tirer de cette épreuve, quelle grâce pouvons nous en recevoir ? Rappelons-nous : quand nous sommes partis en Italie, peu d’entre nous pensaient y trouver une véritable vie ecclésiale. Nous nous sommes retrouvés ici pour différentes raisons. Pourtant, cette vie ecclésiale, nous l’avons trouvée, parfois de façon inattendue, et nous devons déjà être reconnaissants pour cette découverte. Aujourd’hui, elle nous est retirée. Pourquoi ?

Rentrons en nous-mêmes, interrogeons Dieu dans le fond de notre cœur. Peut-être avons-nous besoin, pour ressentir la soif de la communion, ce don incommensurable qui, même s’il est célébré fréquemment, est unique, de comprendre aussi comment vivre sans elle ?

Peut-être, pour sentir la plénitude et la beauté de la prière commune, nous faut-il faire l’expérience de son absence, de son manque ?

Peut-être pourrons-nous mieux sentir sa saveur en étant loin les uns des autres ? Peut-être pourrons-nous mieux sentir la joie de l’unité en étant quelque temps seuls devant Dieu ? En priant les uns pour les autres, et en nous languissant de ceux que nous ne voyons pas ?

Dans cette solitude, si Dieu est avec nous, le travail intérieur invisible, qui nous manque toujours peut enfin s’accomplir. Ce n’est pas pour rien si de grands saints se sont retirés du monde et ont passé toute leur vie en ermites. Ainsi, sainte Marie l’Egyptienne a passé 40 ans dans le désert et n’a communié que dans les derniers jours de sa vie terrestre. Peut-être que c’est justement la mémoire de cette sainte à laquelle est consacrée la cinquième semaine du Grand carême, qui doit s’incarner dans nos vies, dans notre carême d’aujourd’hui ?

Les sermons du dimanche vont nous manquer. Pourtant, en méditant les paroles de l’Evangile que nous lirons chaque dimanche, peut-être que nous nous mettrons à y réfléchir par nous-mêmes et à en tirer des enseignements ?

Enfin, nous, disciples du Christ, nous sommes appelés à garder le « souvenir de la mort », qui s’est soudainement rapprochée de chacun de nous. Je prie pour votre santé et votre longévité, mais n’oublions pas que le souvenir de la mort est une partie intégrante de la vie avec Dieu, ici et maintenant. Il nous appelle au repentir mais nous donne aussi la joie : le Seigneur est proche, le Seigneur vient.

Je voudrais vous rappeler les paroles du Christ qui sont lues le Grand Jeudi : «Dans le monde, vous aurez des tourments ; mais prenez courage : J’ai vaincu le monde» (Jn 16, 33).

 Archiprêtre Vladimir Zelinski,

Extrait de la lettre aux paroissiens de la paroisse « Notre Dame Joie des Affligés » de Brescia, Italie
19 mars 2020, Deuxième semaine du Grand carême.

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