Règle d’attention pour celui qui vit dans le monde.

Saint Ignace (Briantchaninov) (1807-1867)

Ecrit pour le laïc pieux ayant le désir de mener dans le monde une vie attentive.

L’âme de tous les exercices spirituels est l’attention. Sans l’attention, ces exercices sont stériles et morts. Celui qui désire être sauvé doit se mettre dans une attitude qui lui permette de garder l’attention vers soi non seulement dans la solitude mais également dans la distraction provoquée parfois par  les circonstances. Que le poids de la crainte de Dieu surpasse toutes les autres impressions dans son âme : alors il lui sera facile de garder l’attention à soi que ce soit dans la solitude de sa chambre comme au milieu du bruit du monde.

La prise de nourriture mesurée, la diminution de l’échauffement du sang contribuent beaucoup à l’attention à soi ; tandis que l’échauffement du sang – qui provient d’une alimentation excessive et de mouvements exagérés, de l’inflammation de la colère, de l’ivresse de la vanité et d’autres causes encore - engendre une quantité de pensées et de rêveries, autrement dit, la dispersion. Les saints pères prescrivent à celui qui veut pratiquer l’attention de commencer par une tempérance mesurée, égale et constante dans l’alimentation[1].

Au réveil – à l’image du réveil de la mort, qui attend toute personne – dirige tes pensées vers Dieu, apporte Lui en sacrifice tes pensées naissantes, alors que tu n’as pas encore reçu d’impressions vaines. En silence, avec une grande prudence, accomplis tout ce qui est nécessaire à celui qui se réveille, lis ta règle de prières habituelle en te souciant pas seulement de la quantité de prières mais de sa qualité, c'est-à-dire de la façon dont elle est accomplie avec une entière attention, et que, grâce à cette attention, que ton cœur soit éclairé et animé de l’attendrissement et de la consolation de la prière. Après ta prière, soucie-toi encore de toutes tes forces de l’attention, lis le Nouveau Testament, particulièrement l’Evangile. Lors de cette lecture, note les enseignements et les commandements du Christ afin que selon ceux-ci tu puisses orienter ton activité, visible ou invisible. La quantité de lectures est à déterminer selon la force de la personne et selon les circonstances. Il n’est pas nécessaire de charger son esprit avec des lectures superflues de prières et des Ecritures, tout comme il ne faut pas manquer à ses obligations sous le prétexte d’un exercice démesuré de prière et de lecture. Comme la prise superflue de nourriture perturbe et affaiblit l’estomac : ainsi la consommation démesurée de nourriture spirituelle affaiblit l’esprit, produit sur lui le dégoût des exercices pieux, le conduit à l’acédie[2]. Les saints Pères conseillent au débutant des prières régulières mais courtes. Lorsque l’esprit grandit spirituellement, il se renforce : alors il sera capable de prier sans cesse. Ces paroles de l’apôtre Paul parlent des chrétiens qui ont atteint l’âge parfait dans le Seigneur : « Je veux donc que les hommes prient en tout lieu, en élevant des mains pures, sans colère ni mauvaises pensées. »[3], c'est-à-dire sans passion, sans se distraire ni se laisser aller à la rêverie. Ce qui correspond à l’homme n’est pas encore naturel pour l’enfant. S’illuminant par l’intermédiaire de la prière et de la lecture de Notre Seigneur Jésus Christ, Soleil de Vérité, que l’homme vaque aux affaires du quotidien en gardant l’attention, afin que dans toutes ses œuvres et ses paroles, dans tout son être, règne et agisse la très sainte volonté divine, ouverte et expliquée aux hommes dans les commandements évangéliques.

Si tu as quelques minutes de liberté dans la journée, utilise-les pour lire avec attention des prières choisies ou un passage choisi de l’Ecriture et tu en renouvelleras les forces spirituelles que tu as épuisées en t’activant au milieu de l’agitation du monde. Si ces minutes ne se présentent pas à toi: il faut les regretter comme un trésor perdu. Ce que tu as dépensé aujourd’hui, ne le gaspille pas pour le lendemain : parce que notre cœur se laisse facilement gagner par la négligence et la distraction dont est issue la sombre ignorance, désastreuse pour les œuvres divines et pour le salut de l’homme.

S’il t’arrive de dire ou faire quelque chose de contraire aux commandements divins : soigne aussitôt cette faute par le repentir et, par ce repentir sincère, reviens sur le chemin de Dieu dont tu t’es détourné en enfreignant ses commandements. Ne croupis pas hors du chemin de Dieu ! – Avec foi et humilité, oppose aux pensées, rêves et sensations spirituelles passagères, les commandements évangéliques en disant avec le patriarche Joseph « Comment ferai-je un aussi grand mal et pécherai-je contre Dieu ? »[4]. Celui qui pratique l’attention à soi doit se défaire de toute rêverie en général toute attirante ou inoffensive qu’elle paraisse : toute rêverie est une errance de l’intelligence, hors de la vérité, dans un monde de fantômes irréels et impuissants à se réaliser, qui séduisent et trompent l’intelligence. Les conséquences de la rêverie sont la perte de l’attention à soi, la dispersion de l’esprit et la dureté du cœur dans la prière ; de là : le désarroi spirituel.

Le soir, en allant vers le sommeil qui en comparaison avec la vie de la journée est la mort, examine tes actes de la journée. Pour celui qui mène une vie attentive, un tel examen n’est pas difficile : en effet, par l’attention à soi, on détruit l’absence de mémoire qui est propre à l’homme distrait. Aussi : en te souvenant de tous tes péchés en actions, en paroles, en pensées, en sentiments, offre à Dieu par eux le repentir et par ta disposition et l’engagement du cœur, la correction de ces fautes. Ensuite, en lisant tes prières du soir, conclus par la pensée divine cette journée par commencée avec une pensée divine.

Où vont les pensées et sentiments de l’homme endormi ? Quelle est cet état mystérieux : le sommeil, durant lequel la prière et le corps sont vivants mais ne vivent pas ensemble, étrangers à la conscience de leur vie, comme morts? Le sommeil est aussi incompréhensible que la mort. L’âme s’y repose, oubliant les chagrins et malheurs terrestres les plus amers, à l’image de son repos éternel ; mais le corps ! … tout comme il se relève du sommeil, il ressuscitera des morts aussitôt. Le grand Agathon a dit : «Il est impossible de progresser dans les vertus sans renforcer l’attention à soi.»[5]. Amen.

 

[1] Philocalie, part. 2, chapitres de Saint Philothée du Sinaï.

[2] Isaac le Syrien. Parole 71.

[3] 1 Tim 2,8

[4] Gen. 39,9

[5] Paterikon des Grottes.

 

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