Interview du métropolite Longin

Le 15 novembre 2018, le Saint synode de l’Eglise Orthodoxe Russe a statué sur l’impossibilité de demeurer plus longtemps en communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople, pour cause d’actions anticanoniques – entrée en relations avec des schismatiques et attentat au territoire canonique de l’Eglise Orthodoxe Russe en Ukraine. La déclaration du Synode dit que cette décision est prise avec une profonde douleur. Nous avons soumis au métropolite de Saratov et de Volsk Longin les questions des paroissiens des églises de Saratov sur les causes de ce pas et sur la façon dont devaient réagir à cela les séculiers.

- Monseigneur, la « rupture de la communauté eucharistique », que se cache-t-il derrière ce concept ? Pourquoi cela s’est-il produit et où cela peut-il nous mener ?

- Je conseillerais à tous nos paroissiens de lire très attentivement la déclaration du Saint Synode du 15 octobre 2018, dans laquelle on parle non seulement de la décision de rompre la communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople, mais où l’on explique de façon très argumentée et très calme pourquoi cela fut fait. Bien sûr, c’est une mesure forcée, une protestation contre la façon monstrueuse et dépassant toutes limites dont le Patriarcat de Constantinople traite les canons de l’Eglise. L’Eglise Orthodoxe Russe n’a pas d’autre moyen d’exprimer son désaccord catégorique avec cette manière d’agir. Servir la divine liturgie ensemble et communier au même Calice, on peut seulement le faire «d’une même bouche et d’un même cœur ». Malheureusement, nos bouches et nos cœurs ne sont maintenant plus à l’unisson du Patriarcat de Constantinople.

Le concept de « rupture de la communion eucharistique » suppose que notre clergé ne peut concélébrer avec le clergé du Patriarcat de Constantinople, et les laïcs ne doivent pas communier dans les églises du patriarcat de Constantinople.

Pour ce qui concerne où cela peut nous conduire. Comme il a déjà été dit par des personnalités officielles de la Patriarchie de Moscou, en particulier, le métropolite de Volokolamsk Hilarion, en principe, les actions de Constantinople peuvent entraîner un grand schisme tragique dans l’Orthodoxie, comparable au grand schisme de 1054, qui a divisé l’Eglise en catholique et orthodoxe. Alors l’Eglise Romaine est également tombée de l’Orthodoxie Universelle de par ses ambitions et ses prétentions à la juridiction sur le territoire de l’actuelle Bulgarie. C’est bien sûr très dangereux et très mal.

- En quoi réside la cause de ces ambitions ?

- Avant tout, je voudrais dire que le concept même de Constantinople et de sa prééminence, c’est un fantôme, fondé sur le nationalisme grec. La fameuse 28° règle du Concile de Calcédoine, qui parle de la « primauté d’honneur » de l’Eglise de Constantinople, fonde très exactement la cause de tout cela : Constantinople était la ville de l’empereur et du sénat. Il n’existe plus ni empereur ni sénat depuis voici déjà 565 ans. Il n’y a plus non plus d’Empire Byzantin, sans même parler de Constantinople. Il y a Istanboul, une ville turque, même pas la capitale. Les organes du pouvoir de la Turquie contemporaine se trouvent à Ankara. C’est-à-dire que l’existence même de Constantinople est un fantôme que toutes les autres Eglises ont toujours soutenu par compassion ce qui, ainsi que nous le voyons aujourd’hui, était un tort. A mon avis, on aurait dû depuis longtemps réformer tout le système d’interactions des Eglises Orthodoxes. Certains malveillants disent que l’Eglise Russe veut prendre la place de Constantinople. Non ! Il est simplement temps de se débarrasser des vestiges de l’empire byzantin englouti dans le passé.

Pour ce qui est du rôle des phanariotes dans l’histoire, c’était déjà à l’époque des Turcs un fléau pour les antiques patriarcats orthodoxes, Alexandrie, Antioche, Jérusalem. Leur indépendance était devenue formelle, ils étaient pratiquement gouvernés depuis le Phanar. Qui sont les Phanariotes, on le sait aussi très bien e Bulgarie, et en particulier en Roumanie.

Le rapport de Constantinople à l’Eglise Russe au XX° siècle peut être appelé prédateur. Elle a littéralement arraché des morceaux de l’Eglise Russe,qui à l’issue de la chute de l’Empire, se sont retrouvés dans des états indépendants : les Eglise de Pologne, de Finlande. L’histoire de la reconnaissance par Constantinople en 1924 du schisme des rénovés, initialisé par un pouvoir antireligieux contre l’Eglise Orthodoxe Russe est connue et significative. Alors Constantinople avait l’espoir fantôme non seulement de s’immiscer dans les événements religieux en Russie, mais en utilisant les troubles des années 20, d’essayer d’une manière ou d’une autre de se soumettre l’Eglise Russe.

Malheureusement, le rapport du patriarcat de Constantinople à notre Eglise et aux autres Eglises Orthodoxes,surtout au XX° siècle, ne peut être qualifié de fraternel. Ce n’est pas du tout la « primauté de l’amour », pour parler comme le saint prêtre martyr Cyprien de Carthagène. Et je pense que nous attendent des temps très difficiles, si cette question n’est pas posée fondamentalement.

- Aujourd’hui, la question la plus fréquente que posent les laïcs aux prêtres, c’est : peut-on maintenant aller là bas en pèlerinage ? Comment se comporter là-bas ? Qu’est-ce qui est permis ou ne l’est pas ?

- On peut toujours faire un pèlerinage. Bien que je sois partisan du fait que nous avons chez nous, en Russie, une multitude d’objets sacrés, des endroits tout-à-fait étonnants, glorifiés par l’exploit de des saints pères anciens ou celui des nouveaux martyrs. Que Dieu nous permette de tous les visiter chez nous. Bien sûr, faire un pèlerinage à l’étranger peut aussi être utile. Et je ne pense pas qu’ici surgisse quelque problème en lien avec ce qui se produit. Nous allons bien, disons, dans les pays catholiques, où se trouvent des reliques de l’Eglise indivise : l’Italie, l’Espagne et autres. Que peut-on faire pendant un tel pèlerinage ? S’incliner devant les reliques, prier devant elles. Mais participer aux mystères, communier, les laïcs, là bas, ne le peuvent pas.

- Sans doute les gens prennent-ils plus douloureusement que tout le reste l’impossibilité de participer aux sacrements sur la Sainte Montagne de l’Athos….

- Oui, c’est un problème. La Sainte Montagne occupe une place significative dans la vie de l’Eglise Orthodoxe, nous aimons tous l’Athos et le monachisme athonite. On peut visiter l’Athos, surtout le monastère russe saint Pantaleimon, et même d’autres monastères, il faut simplement s’abstenir de participer aux sacrements.

- Même dans le monastère russe ?

- Le fait est que tout l’Athos est soumis au patriarcat de Constantinople, tous les clercs de l’athos se trouvent sous sa juridiction. Je ne sais pas combien de temps cela pourra tenir, parce qu’en réalité, l’Athos est dissident au sein du patriarcat de Constantinople. Une partie significative des moines est critique par rapport au patriarcat Œcuménique, ne partage pas sa façon de considérer les autres Eglises, son implication dans la politique et le mouvement œcuménique. Et les moines de la Sainte Montagne sont très loin d’être tous d’accord avec les actions du patriarcat de Constantinople en Ukraine. Cependant, il faut dire que les moines de quelques monastères grecs le soutiennent et comme on l’a dit récemment, au cours d’une rencontre personnelle à un de mes amis sur la Sainte Montagne, ils se réjouissent qu’on ait « enfin donné une gifle aux Russes ». Ainsi sont disposés certains nationalistes grecs. Ils peuvent être des gens pas mal, des moines sincères, mais avec ça tenir à leur nationalisme et à leur conviction que le but principal de la Sainte Montagne est la conservation de Byzance, qui, à leur avis, « sur l’Athos n’est jamais morte ».

De sorte que les laïcs doivent faire preuve d’obéissance envers leur Eglise. Et il faut prier pour que ce problème soit résolu le plus vite possible et chrétiennement.

- Et où encore, à part Istanboul, se trouvent des églises du patriarcat de Constantinople ? Comment les différencier ?

- En Europe, en Amérique, en Australie, en de nombreux endroits où existent une diaspora grecque suffisamment importante. De plus, selon la règle, partout où il y a des églises du patriarcat de Constantinople, il y en a du patriarcat de Moscou ou de l’Eglise Russe Hors Frontières, ou d’autres Eglises Locales.

Comment les reconnaître ? Mais simplement demander en entrant de quelle juridiction est cette église. Habituellement, c’est même indiqué sur des panneaux extérieurs.

- On nous demande aussi : que se passe-t-il si nous faisons erreur et, nous trouvant en pèlerinage, nous avons communié dans une église du patriarcat de Constantinople ?

- Si on a simplement fait erreur, rien de grave, nous ne disons pas,en effet, que dans telle ou telle églises, les mystères ne s’accomplissent pas, nous ne les blasphémons pas, nous ne disons pas qu’ils sont dépourvus de grâce. Ce serait un péché.

- Les chrétiens essaient de considérer tout ce qui se passe dans le monde et particulièrement dans l’Eglise, comme une sorte de leçon. Qu’est-il important de comprendre ici ? Qu’est-ce qui dépend de nous, les laïcs ?

- Je pense que pour les laïcs, le plus important, maintenant, c’est de conserver l’obéissance à leur Eglise. Et comprendre : ces actions de Constantinople que nous voyons à présent sont une véritable iniquité que nous essayons, en somme, de combattre.

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