L’enfance et l’adolescence de saint Luc de Crimée, 1877-1903.

La ville de Kertch s’étale entre deux mers, en face du continent, à l’extrémité est de la Crimée. C’est un endroit qui était déjà peuplé des dizaines de milliers d’années avant J.C. Au VII° siècle avant J.C., des colons grecs de Millet fondèrent la ville-état de Panticapée (« route du poisson »), sur la rive du détroit de Kertch, capitale du futur royaume du Bosphore.

Kertch, à l’intersection des routes de l’Asie et de l’Europe et futur port maritime de la Russie de Kiev, fut sous le contrôle de l’Empire Romain (byzantin), de la Khazarie, des colonies de Gênes et de l’Empire Ottoman, avant d’entrer, avec la Crimée, dans l’Empire Russe à la fin du XVIII° siècle.

C’est ici, à Kertch, le 27 avril 1877, que naquit, dans la famille d’un proviseur, l’archevêque Luc, dans le monde Valentin Felixovitch Voïno-Iassenetski.

L’ancienne famille noble des Voïno-Iasseneteski, d’origine russe, est connue depuis le XVI° siècle.  A l’époque de l’apogée du royaume de Pologne-Lithuanie, les représentants de la lignée, du blason de Trouba, qui portaient au départ le nom d’Iassenetski, reçurent le préfixe Voïno et des titres nobiliaires pour la bravoure militaire dont ils firent preuve sur le champ de bataille. Nikolaï Voïno-Iassenetski fut seigneur de Novogroudsk en 1684-1698, et son frère Semione (+ en 1691) fut le chef militaire de Vitebsk. Constantin Voïno-Iasseneteski fut intendant de Minsk en 1701. Le poste d’intendant était très prestigieux, du XV° au XVII° siècle[1]. Cependant, après les nombreuses divisions de la Pologne, la famille des Voïno-Iassenetski s’appauvrit et les honorables nobles devinrent laboureurs. Félix Stanislavovitch, le père de Monseigneur, qui était né en 1838 dans le district de Selianine du gouvernement de Moguilev et avait reçu une formation de proviseur, réussit à échapper à la campagne profonde et à s’installer à Kertch. Beaucoup plus tard, l’archevêque Luc nota à propos de ses origines : « Comme l’évocation de mes origines nobles confère à ma personne une nuance défavorable, je dois révéler que mon père, ce noble, vivait, dans sa jeunesse, dans une isba enfumée et qu’il portait des laptis[2]. Ayant reçu le titre de proviseur, il n’eut sa propre pharmacie que pendant deux ans, et fut ensuite, jusqu’à sa vieillesse, employé dans une société de transport. Il ne possédait, non plus que moi-même, aucun bien »[3]. Félix Stanislavovitch unit sa destinée à Maria Dmitrievna, née Koudrina, âgée de dix-neuf ans. La mère du saint naquit en 1849, à Tcherkassi, dans la famille de l’intendant d’un grand domaine. En 1872, la famille Voïno-Iassenetski s’installa dans une petite maison, dans le centre de Kertch.

A cette époque, Kertch était une modeste ville provinciale. « Le seul endroit qui pouvait attirer le voyageur, c’était la place du marché, le jour où il avait lieu. Un endroit immense, avec une fontaine au milieu, couvert de baraques en bois et bourré de gens de différentes tribus. Sur de petites tables, on y vend tout et n’importe quoi. On avait pratiqué en ville des parcs et des boulevards de style anglais. Un public choisi s’y promenait le soir au son des orchestres militaires ». Les parcs gagnèrent en superficie, et vers les années 70, Kertch était noyée dans la verdure… Cependant c’était seulement la partie centrale de la ville qui était alors aménagée. Plus loin couraient des rues de terre battue, malpropres, inégales et fuyantes, bordées de hauts murs, derrière lesquels se cachaient de petites maisons basses… »[4].

Dans la famille des Voïno-Iassenteski, il y avait cinq enfants : Pavel, Olga, Valentin, Vladimir et Victoria[5]. Le père de famille était un pieux catholique, les autres membres étaient orthodoxes, c’était la mère qui s’occupait de l’instruction religieuse des enfants. Valentin observa, dès son jeune âge, la piété de ses parents, ce qui influença sans aucun doute la formation de sa vision du monde. « Mon père était catholique, très pieux, il allait toujours à l’église et priait longuement à la maison… » « Si l’on peut parler d’héritage religieux, alors je l’ai probablement hérité de mon père très pieux. Mon père avait une âme étonnement pure, il ne voyait jamais le mal chez les autres et faisait confiance à tout le monde… ». « Ma mère priait à la maison avec intensité », se souvenait le Saint dans son autobiographie. Elle avait été élevée dans les traditions orthodoxes, et sa foi s’exprimait dans les bonnes actions qu’elle accomplissait pour la gloire de Dieu. Maria Dmitrievna transmettait régulièrement des pâtisseries maisons aux prisonniers et leur procurait la possibilité de gagner de l’argent en leur envoyant, par exemple, des matelas à rapetasser. Quand débuta la première guerre mondiale, il y avait toujours à la maison du lait en train de bouillir, qu’elle envoyait aux combattants blessés. Mais le vif sentiment religieux de Maria Dmitrievna fut cruellement blessé par un cas désagréable. S’acquittant de la commémoration de sa fille morte, elle avait apporté un plat de koutia[6] et, après le service funèbre, assista par hasard au partage de son offrande. Après cela, elle ne franchit plus jamais le seuil de l’église[7].

Valentin devenait en grandissant actif et curieux, il avait reçu de son père sa piété naturelle, de sa mère un caractère autoritaire et une forte volonté. Le futur saint avait appris à lire et à écrire avant sa sixième année, il connaissait les bases de l’arithmétique et aimait beaucoup dessiner. Au bout d’un an, ses parents lui choisirent un lycée privé. Il se trouvait dans la rue voisine, et il avait une bonne réputation, le prix de l’éducation des enfants de 7 à 9 ans, dans la classe préparatoire, y était de deux fois supérieur à celui d’un établissement ordinaire. Les normes strictes de comportement et la perception chrétienne du monde y développèrent, chez Valentin, le sens de la responsabilité et le préparèrent au service qui l’attendait.

En 1889, la famille déménagea au début de Kertch à Kichinev et ensuite à Kiev, 99 rue Alexandrovskaïa, car le père du Saint était devenu fonctionnaire de la Direction des chemins de fer. En 1894, Valentin entre dans le Second lycée de Kiev, et étudie avec passion l’histoire de cette ville[8].  Le jeune garçon aima tout de suite cette cité ancienne qui s’étendait sur les hauteurs majestueuses surplombant le Dniepr, ses antiques églises et ses lieux sacrés orthodoxes. De toute évidence, les panoramas de Kiev, les fresques de la cathédrale de Vladimir exécutées par V.M. Vasnetsov, M. V. Nesterov et M. A. Vroubel, ont laissé dans l’âme de l’écolier une trace ineffaçable. Ses parents avaient remarqué très tôt l’inclination de leur fils pour le dessin, et à l’âge de 13 ans, le firent entrer dans l’école d’art de Kiev. « J’avais une passion pour le dessin depuis mon enfance »  écrivait le Saint dans son autobiographie. Un tableau fait par le jeune peintre attirait l’attention des visiteurs : il y avait saisi l’image d’un vieux mendiant à la main tendue et aux yeux pleins de douleur, témoignage de sa sensibilité au malheur des autres et de sa capacité d’empathie.

Après avoir terminé le lycée et l’école d’art, Valentin se prépara aux examens d’admission à l’Académie des beaux-arts. Cependant l’altruisme de ce garçon talentueux le pousse à changer radicalement l’orientation de sa vie. Le Saint se souvient ainsi de cette époque : « Mon inclination pour la peinture était si forte qu’après le lycée, je décidai d’entrer à l’Académie des beaux-arts de Pétersbourg. Mais au moment des examens d’admission, je fus submergé par la question difficile de savoir si je choisissais la bonne voie. Mes courtes hésitations se terminèrent par la décision que je n’avais pas le droit de m’occuper de ce qui me plaisait, mais que j’étais obligé de m’occuper de ce qui était utile aux gens dans le malheur ». C’est ainsi que le jeune homme, à l’aube de sa vie d’adulte, passe délibérément sur ses intérêts et ses désirs pour orienter son chemin de vie vers le bien des autres, exactement selon l’Evangile : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15:13).

Après de longues réflexions, il envoya à sa mère un télégramme sur le changement de ses projets et son intention d’entrer à la faculté de médecine. Mais à la faculté de médecine de Kiev, toutes les places étaient prises, et le recteur recommanda à Valentin d’étudier un an à la faculté de sciences naturelles pour passer ensuite dans celle de médecine. « Je refusai, car j’avais une grande aversion pour les sciences naturelles, un intérêt très marqué pour les sciences humaines, en particulier la théologie, la philosophie et l’histoire. Pour cette raison, je préférai entrer à la faculté de droit, et, pendant un an, étudiai avec intérêt l’histoire et la philosophie du droit, l’économie politique et le droit romain. Mais au bout d’un an, je fus à nouveau irrésistiblement attiré par la peinture. Je partis pour Munich, où j’entrai dans l’école artistique privée du professeur Knirr ». Dans la deuxième moitié du XIX° siècle s’était répandue parmi les jeunes peintres la mode de fréquenter les écoles d’art européennes (parmi les peintres russes les plus connus ayant étudié à Munich figurait Vassili Kandinsky). Les candidats à l’Académie de Munich étaient soumis à de grandes exigences, c’est pourquoi les futurs étudiants perfectionnaient d’abord leur métier dans l’école privée du professeur Heinrich Knirr. Ses cours avaient lieu chaque jour. Valentin suivait la théorie à l’école, mais faisait des esquisses d’après nature avec les autres étudiants dans la forêt proche ou sur le bord d’une petite rivière ; on apprenait la technique du dessin dans les classes de modèle vivant de l’Académie, à Munich. Mais l’âme de Valentin ne put supporter l’Allemagne et, au bout de seulement trois semaines, ayant le mal du pays, il revint à Kiev et continua à pratiquer assidument la peinture pendant un an. « C’est à ce moment-là que se fit jour, pour la première fois, ma religiosité. J’allais chaque jour, et parfois deux fois par jour, à la Laure des Grottes de Kiev, j’allais souvent dans les églises de la ville… Je faisais beaucoup d’esquisses, de dessins, de croquis des gens en prière, des pèlerins de la Laure, qui avaient parcouru des milliers de verstes pour venir. Et se dessinait déjà pour moi la direction artistique que j’aurais prise, si je n’avais abandonné la peinture. J’aurais suivi les traces de Vaznetsov et Nesterov, car la tendance religieuse se faisait déjà sentir avec éclat dans mes occupations de peintre. Je compris à ce moment le processus de la création artistique. J’observais partout, dans les rues, les tramways, sur les places et les marchés, les traits fortement exprimés des visages, des silhouettes, les mouvements et, de retour à la maison, je dessinais tout cela. Je reçus un prix, pour mes esquisses, à l’exposition de l’école des beaux-arts de Kiev »  écrivait l’archevêque Luc. Cette fréquentation des pèlerins pendant trois cents jours fut une école spirituelle pour Valentin ; le jeune peintre devait pénétrer l’univers intérieur des héros de ses œuvres, voir le Christ représenté en eux[9].

Ses études à la faculté de médecine correspondaient entièrement à  ses « … aspirations à être utile aux paysans, auxquels si peu d’aide médicale était garantie » . Le frère aîné de Valentin, Vladimir, étudiant à la faculté de droit, exerçait sur lui une remarquable influence. Dans le milieu étudiant d’alors, beaucoup s’engouaient des idées populistes de L. N. Tolstoï, que Valentin se mit à imiter en tout : « Je dormais à même le sol, sur un tapis, et l’été, quand nous allions à la datcha, je fauchais l’herbe et le seigle avec les paysans, sans me laisser distancer par eux » . Plus tard, en 1913, déjà médecin, il écrivit :

« Lev Tolstoï était pour moi, au plein sens du terme, un père spirituel. Sa philosophie morale, je la percevais comme une vérité qui m’était proche, je résolus, sous son influence, de faire le choix difficile de la médecine plutôt que de la peinture, définit mon chemin de vie et ma relation à tout ce qui m’entourait. La grande qualité littéraire des œuvres de Tolstoï réside dans leurs liens étroits avec une profondeur morale inépuisable »[10].

C’était une forte passion, Valentin envoya à L.N. Tolstoï, le 30 octobre 1897, une lettre à Iasnaïa Poliana, dans laquelle il découvrait entièrement ce qui lui pesait :

«Kiev, le 30 octobre 1897

Cher Lev Nikolaïévitch !

Aidez-moi, je suis amené à éprouver toute l’horreur des paroles du Christ sur les ennemis de l’Homme, qui sont ses serviteurs . Voici ce dont il s’agit : j’ai 21 ans ; Je suis très attiré par la peinture. Je suis allé à Pétersbourg, pour entrer à l’Académie des beaux-arts, je suis entré ensuite à l’université, je suis allé cet automne à Munich, pour étudier la peinture, mais je n’ai pu étudier nulle part, car je croyais très profondément que le sens de la vie et le bonheur sont dans l’amour, et il m’est devenu impossible de sacrifier des années à me préparer à la vie (en apprenant chez les Allemands ce qui n’était pas nécessaire), quand je sais que la seule chose nécessaire c’est de se mettre envers les gens dans une relation qui me permette de développer en moi l’amour, afin qu’il devienne la nourriture de mon âme vivante ; et en tant que peintre, les académies, où  le travail n’est pas heureux et  l’activité aimée  pesante, me sont insupportables : cela m’attire trop de contempler des personnes vivantes et d’apprendre auprès d’elles. Et voilà qu’à présent je sais que l’on a faim dans les villages, et je dois aller vers ces gens pour les aider, et pour me mettre à leur école. Pour ce faire, je dois porter un coup à ma mère, il y a une semaine, ma sœur a perdu l’esprit (nous avons le même âge) ; elle a été gravement malade pendant six mois, après quoi début janvier de cette année, elle s’est jetée par la fenêtre du deuxième étage. Quand j’ai fait part à ma mère de mon intention d’aller à la campagne, elle m’a dit que cela la tuerait. Ma certitude que je serai utile à la campagne, elle la considère comme des délires d’enfant, elle me dit que l’enseignement du Christ ne pouvait être accompli que dans le passé, que je ferais mieux de rester à Kiev, de rassembler de l’argent pour partir au « Comité », que je ne pourrai être utile à la campagne que lorsque j’aurai les poches bien remplies, et ne peut comprendre qu’un homme pauvre peut faire encore plus de bien qu’un riche,  et que pour remplir les commandements du Christ, on n’a besoin de nuls moyens particuliers, ni de préparation, mais seulement d’amour pour les gens. Elle dit que je suis le même chemin que ma sœur, que j’ai trop lu l’Evangile et vos livres, et qu’en les comprenant de travers, je finirai fou. Je ne peux pas la convaincre, car elle écoute toutes mes paroles avec un rictus amer, comme les délires fatals d’un garçon qui ne sait encore rien. Je ne prétends pas connaître la vie, je veux seulement obéir à la voix de ma conscience, qui ne me permet pas de me préparer à une vie future considérée comme bonne, alors que je peux déjà vivre très bien dès cet hiver, sans me préparer à rien. Comme vous le voyez, le premier pas sur la voie du Christ est pour moi particulièrement difficile ; particulièrement aussi parce que ma mère et mon père m’aiment beaucoup et attendent beaucoup de moi. Persuadez donc, au nom de Dieu, ma mère que si elle attend beaucoup de moi, elle doit se réjouir que je parte à la campagne ; assurez-la que j'apporterai beaucoup de profit à mon âme et un peu aux affamés si je passe cet hiver à la campagne ; qu’aucun danger ne me menace là bas (c’est ce qu’elle redoute).  Pour la tranquilliser, je lui ai dit que si vous le permettez, je partirai dans votre district et y vivrai sous votre surveillance. Si vous lui écrivez que c’est possible, mon départ ne sera pas pour elle un coup terrible. Au nom de Dieu, écrivez-lui que je ne comprends pas de travers l’enseignement du Christ, que je ne médite rien de dangereux, et expliquez que l’Homme ne peut étouffer en lui la voix de sa conscience, si elle lui réclame depuis deux ans la même chose, que s’il n’obéit pas à cette voix, la voix de Dieu, il mourra spirituellement. Votre infiniment dévoué, V. Voïno-Iassenetski.

L’adresse de ma mère :
Kiev, Alexandrovskaïa 99.
Bureau «Nadejda »,
Maria Dmitrievna Iassenetskaïa-Voïno.
La mienne est la même,

Valentin Felixovitch Iassenteski-Voïno »

 

La maturité spirituelle de ce jeune homme de 21 ans, qui a visiblement pris conscience de l’un des commandements fondamentaux du christianisme, l’amour du prochain, est, dans cette lettre, étonnante. Cependant, comme il ressort de cette lettre, sa mère, Maria Dmitrievna, s’opposait vivement à l’intention qu’avait son fils de devenir tolstoïen. Valentin fut sauvé de faire ce pas par la brochure de L.N. Tolstoï « En quoi consiste ma foi ? », il fut comme frappé par la foudre par la position sacrilège de l’écrivain envers l’Orthodoxie. « Cependant, mon tolstoïsme se prolongea peu de temps, jusqu’à ce que j’eusse lu son œuvre, interdite et publiée à l’étranger « En quoi consiste ma foi », qui m’a violemment déplu par ses moqueries à l’égard de la foi orthodoxe. J’ai tout de suite compris que Tolstoï était un hérétique, très éloigné du christianisme véritable. Peu de temps auparavant, j’avais retiré une juste représentation de l’enseignement du Christ de la lecture approfondie de tout le Nouveau Testament que, selon un ancien et bon usage, j’avais reçu des mains du directeur de mon lycée, quand on m’avait donné mon certificat de maturité comme viatique pour la suite de ma vie. De nombreux passages de ce Livre Saint, que j’ai conservé des dizaines d’années, avaient produit sur moi une profonde impression. Ils étaient soulignés au crayon rouge » . De sorte que l’engouement pour le tolstoïsme devint du passé, mais le désir de se consacrer à l’instruction du peuple pour alléger ses souffrances demeura.

L’étude absorba complètement l’étudiant Voïno-Iassenetski. Décidant de devenir médecin de campagne et d’aider les pauvres, il consacrait tout son temps, à l’université et à la maison, à étudier les diverses branches de la médecine. Le futur chirurgien célèbre était un étudiant exemplaire. « De peintre raté, je devins un artiste de l’anatomie et de la chirurgie » . Valentin se distinguait des autres étudiants par sa haute moralité, sa sensibilité à la souffrance d’autrui, il était rebelle à la violence et à l’injustice. Pour ces qualités, il fut aimé de toute la troisième année, et il en devint le délégué. Voici comment le Saint décrit ses années d’étude : « La troisième année, je fus inopinément élu délégué. C’est arrivé ainsi : j’appris avant un cours que l’un de nos camarades, un Polonais, avait frappé sur une joue un autre camarade, qui était Juif. A la fin du cours, je me levai et demandai un peu d’attention. Tous se turent. Je prononçai un discours passionné, qui stigmatisait l’action hideuse de l’étudiant polonais. Je parlai des normes élevées de la morale. De la transmission des offenses, je rappelai le grand Socrate, qui considérait avec calme que sa femme acariâtre lui eût versé sur la tête une cruche d’eau sale. Ce discours produisit une telle impression que l’on m’élut délégué à l’unanimité » . 

Valentin combinait avec succès ses études à l’université, son travail de recherche personnelle sur l’anatomie topographique et la chirurgie, et son travail social de délégué du groupe. « Je passai brillamment les examens d’état, avec des cinq partout, et le professeur de chirurgie générale  me dit à l’examen : Docteur, vous en savez maintenant beaucoup plus que moi, car vous connaissez magnifiquement tous les domaines de la médecine, et j’ai déjà beaucoup oublié de ce qui ne se rapporte pas directement à ma spécialité » . C’est par une telle relation à l’étude et à la recherche scientifique qu’il se préparait à sa future activité. Et ses condisciples décidèrent qu’il aspirait à une carrière de scientifique et, dès la deuxième année, lui prédisaient le titre de professeur. Après avoir brillement obtenu ses diplômes, Valentin étonna tout le monde en déclarant qu’il avait choisi la voie de médecin de campagne. « Comment ? Vous voulez être médecin de campagne ? Mais vous êtes un scientifique de vocation ! » S’exclamèrent ses collègues. « J’étais vexé d’être si mal compris, car j’avais appris la médecine dans le seul but d’être toute ma vie un médecin de campagne pour les moujiks, et d’aider les pauvres » , écrivait, dans ses souvenirs, saint Luc. Tout de suite après la fin de l’université, il devint médecin populaire, pas dans un hôpital de district mais à l’hôpital de la Croix-Rouge de Kiev.

 

[1] Entsiklopedicheskiy slovar' Brokgauza i Yefrona: Tom VIa (12): - SPb, Semenovskaya Tipolitografiya (I.A. Yefrona), 1890-1907 gg., stranitsa 939.

[2] Chaussons d’écorce tressée que portaient les paysans.

[3] De l'interrogatoire de mois de juillet 1938.

[4] Pallas P.S. «Nablyudeniya, sdelannyye vo vremya puteshestviya po yuzhnym namestnichestvam Russkogo gosudarstva v 1793-1794 godakh». - M., «Nauka», 1999. ISBN 5-02-002440-6.

[5] En 1986 naquit le fils aîné, Pavel, en 1871, Olga, en 1873, Vladimir, en 1877, Valentin, et en 1879, Victoria. Ils eurent des destinées diverses. Pavel, à sa sortie de l’université de Kiev, travailla comme juriste en Ukraine, et rejoint, au début de la guerre civile, les armées blanches en qualité d’officier, puis il quitta la Russie avec l’armée de Wrangel et émigra au Maroc. Olga, pendant ses études à l’université de Kiev, tomba sous l’influence d’étudiants révolutionnaires. Prenant à cœur la tragédie du champ de Khodynka, elle se jeta par la fenêtre de l’université et mourut peu de temps après. Vladimir, après ses études, travailla comme avocat, vécut à Tcherkassi avec sa famille et ses parents âgés. La plus jeune fille, Victoria, après l’université, se maria avec l’ingénieur Dzinkiévitch, employé aux chemins de fer, et vécut à Kiev jusqu’à la grande Guerre Patriotique. Après guerre, quand elle mourut, ses enfants déménagèrent chez l’archevêque Luc, à Simféropol.

[6] Plat à base de céréales et de raisins secs traditionnellement confectionné pour les funérailles.

[7] Témoignage du protodiacre Vassili Marouchak.

[8] Selon la « chronique des temps passés » de Nestor, Kiev a été fondée par trois frères, Kiï, Chchek et Khoriv, et leur sœur Lybed’, en tant que centre de la tribu des polianes, et nommée ainsi en l’honneur du frère aîné. A la fin du IX° siècle, à Kiev, régnaient les Varègues de Rurik, Askold et Dir. En 882, Kiev fut conquise par un parent de Rurik, le prince de Novgorod Oleg, qui y transporta sa résidence, disant : « celle-ci sera la mère des villes russes ». En 1051, sous Iaroslav le Sage, fut fondé par le moine Antoine et son disciple Théodose, le monastère des Grottes de Kiev, centre de l’orthodoxie russe ancienne. En 1240, Kiev fut pillée et détruite par les Tataro-Mongols. A partir de 1362, Kiev entre dans la composition du grand-duché de Lithuanie, à partir de 1569 dans la composition de la Communauté polono-lithuanienne, en 1654 la ville se révolte contre les Polonais et les Lithuaniens, et passe sous le gouvernement du tsar moscovite. Selon les résultats du recensement général de la population de Kiev à la fin de 1917, vivaient dans la ville 54,7% de Russes, 19,0% de Juifs, 12,2% d’Ukrainiens. En tout, vivaient à Kiev des représentants de 68 nationalités (Poutchenkov A.S.). A m’époque révolutionnaire, Kiev passa plusieurs fois de main en main, et depuis le 12 juin 1920, entra définitivement dans la composition de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine. En 1934, selon la décision du Sovnarkom d’Ukraine, la capitale de la RSS d’Ukraine fut transférée de Kharkov à Kiev. Pendant l’occupation fasciste allemande de Kiev, dans le secteur de Babyi Iar et de Darnitsa, se trouvaient des camps de la mort, dans lesquels furent exterminés plus de 100 000 habitants de la ville et prisonniers de guerre. Depuis le 24 août 1991, Kiev est la capitale de l’Ukraine indépendante.

[9] Galates 4 :19 : « Mes enfants, pour lesquels je suis à nouveau dans les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que le Christ soit représenté en vous ! ».

[10] Lettre de V. F. Voïno-Iassenetski à A. M. Khiriakov. Département des manuscrits GMT. Alexandre Modestovitch Khiriakov, homme de lettres, auteur du livre « La vie de L. N. Tolstoï » (ed. « Rodnoï Mir », S. P. 1911) et de toute une série d’articles.

Partager