Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
Je voudrais attirer votre attention sur deux points de l’évangile de ce jour. Premièrement, sur les paroles de conclusion du Sauveur : si nous n’avons pas été capables d’écouter Moïse et les prophètes, c'est-à-dire la quantité de témoins qui depuis le commencement des temps ont parlé de Dieu et de Sa vérité, alors même un Ressuscité ne vous convaincra pas…
Ces paroles ont semblé incompréhensibles à ceux qui L’écoutaient alors, mais pour nous, ne sont-elles pas claires ? Le Christ est ressuscité, Il est apparu dans la gloire de Sa divinité et dans toute Sa beauté et la grandeur de Son humanité, et nous, chrétiens, continuons à entendre Ses paroles, à nous étonner de Son enseignement et à Le vénérer tout en restant éloignés de ce qu’Il nous a appris. Quelqu’un pourrait-il reconnaître en nous les disciples du Christ comme on pouvait reconnaître Ses disciples et apôtres à leur visage ? Jadis, marqué du sceau des Apôtres, du sceau du christianisme, l’amour des chrétiens les uns pour les autres était insondable pour le monde et leur amour christique, sacrificiel pour le monde entier ; ils étaient prêts à donner leur vie pour qu’une autre personne qui leur était étrangère - et qui, parfois même, les haïssait - puisse croire à la bonne nouvelle du Christ et revivre d’une nouvelle vie. Comme cela est loin de ce que les gens peuvent voir en nous!
Cela me mène à la deuxième chose que je voulais dire. Un ancien a dit : « Il n’y a pas de lieu d’excommunication plus terrible qu’un lieu peuplé de chrétiens mécréants... » Lorsque nous lisons cette parabole de Lazare et du riche, nous pensons toujours aux autres : pourtant, et si cette parabole nous était adressée ? Ne ressemblons-nous pas à l’homme riche ? Quelle richesse fabuleuse d’enseignement spirituel possédons-nous ! Nous connaissons Dieu ; nous avons rencontré le Christ : Son enseignement nous a été révélé ; nous recevons Ses sacrements : Sa grâce habite en nous, le Saint Esprit souffle sur l’Eglise et nous, nous restons autosuffisants, enfermés, nous efforçant de vivre libres, nourris par cette richesse que le Seigneur nous donne. A côté de nous, des milliers et des milliers de gens ont faim, qui seraient prêts à se nourrir des miettes qui tombent sans arrêt de notre table, mais nous ne leur donnons pas : l’Orthodoxie nous appartient, la foi nous appartient, tout nous appartient !... Pendant ce temps-là, les autres, ceux qui sont sur le seuil, sous notre escalier, devant notre porte et qui sont affamés, ces autres meurent de faim, ne recevant pas une seule de ces paroles de vie qui auraient pu les ranimer…
Nous en savons trop, nous sommes trop riches. Les saints anciens, « ignorants », qui n’avaient pas accès à la même quantité de livres que nous, entendaient parfois une seule parole d’évangile et, sur celle-ci, fondaient la sainteté de toute leur vie. Quant à nous, nous lisons, lisons, écoutons, prions, et la sainteté ne grandit pas en nous parce que nous sommes avares comme ce riche qui voulait tout garder pour lui et qui n’avait pas pitié d’un autre être humain.
Or, l’évangile nous dit que le pauvre est mort, peut-être de faim, à la porte du riche, et que les anges l’ont porté dans le sein d’Abraham, dans le paradis de Dieu. Le riche aussi est mort, mais pas un des anges ne s’est approché de lui : on l’a enterré avec ses semblables, les avares et les riches, dans le centre de la terre ; il est mort et a comparu devant le Jugement. Non pas parce qu’il était riche et Lazare pauvre, mais pour la simple raison qu’il avait eu une vie lumineuse et l’autre amère : parce que toute la lumière qu’il avait eue, il l’avait gardée avidement sans la partager : désormais c’est le pauvre, qui est devenu riche dans l’éternité, qui ne peut partager avec lui...
Réfléchissons à notre Orthodoxie, à notre richesse, à cette faim qui nous entoure parmi les chrétiens, les incroyants, les athées, ceux qui cherchent ou ne cherchent pas, et ne demeurons pas comme ce riche afin que le Seigneur ne prononce pas ce Jugement sur nous : Je suis ressuscité, et vous n’avez pas cru en Moi ! ... Quelle joie ce sera pour le Sauveur et les anges de Dieu et pour notre Père céleste et notre Mère, la Mère de Dieu, et les saints et les pécheurs, si nous nous montrons simples de cœur et généreux, et si nous donnons toute notre richesse : donner sans essayer de garder quoi que ce soit parce que l’homme n’est riche de ce qu’il donne par amour ! Alors, parmi nous, dans nos cœurs s’ouvrira le Royaume de Dieu, le Royaume de l’amour triomphant. Amen.
Mgr Antoine (Bloom) de Souroge
30 octobre 1977