Parabole des invités au festin. 28e semaine après la Pentecôte.

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

La lecture de l’évangile du jour se termine sur des paroles fort effrayantes : « Beaucoup sont appelés mais peu sont élus… ». Le Seigneur, qui a créé le monde afin de partager avec lui Sa joie éternelle, divine, y rencontre pourtant un froid refus.

Tous sont appelés mais il dépend de nous d’être élus ; tous ont été créés avec amour en vue de la joie et de la vie éternelle mais c’est à nous de répondre à cet amour par l’amour et d’entrer dans cette joie que nous propose le Seigneur. Le tableau que nous dresse l’Evangile de ce jour est simple et décrit avec exactitude tous nos états d’âme, toutes les raisons qui font que nous n’avons pas de temps pour Dieu et pas d’intérêt pour l’éternité.

Le Seigneur a préparé le festin de la foi, le festin de l’éternité, le festin de l’amour. Il envoie chercher ceux qu’Il a prévenus qu’il y aurait cette fête, il y a longtemps, afin qu’ils y soient préparés.

L’un répond : « j’ai acheté un lopin de terre, il faut que j’aille le voir ». Je suis né sur la terre, je vis sur la terre, mes os y seront enterrés, comment ne pas me soucier de ce qu’au moins un petit bout m’appartienne ? Le ciel est à Dieu, mais la terre, qu’elle soit à moi… N’est-ce pas ce que nous faisons ? N’essayons-nous pas, afin que rien ne puisse nous ébranler, de nous enraciner dans la terre, de subvenir à nos besoins sur terre, par des moyens terrestres ? Et nous pensons : dès que j’aurai subvenu à mes besoins, que j’aurai fait ce que j’avais à faire sur terre, alors j’aurai le temps de penser à Dieu.

Mais voici un deuxième exemple que nous donne le Seigneur : Il a envoyé Ses serviteurs à d’autres invités qui lui ont répondu : « nous avons acheté cinq paires de bœufs, il nous faut les essayer ». Nous avons une tâche sur la terre, un travail, nous ne pouvons rester sans rien faire, nous devons avoir un lien avec la terre, il faut apporter son fruit, il laisser quelque chose derrière soi. Nous n’avons pas le temps de festoyer dans le Royaume de Dieu. Il arrive trop tôt avec son appel vers la vie éternelle, à la contemplation de Dieu, à la joie de l’amour réciproque, il faut encore achever quelque chose sur la terre… Lorsque nous aurons tout fait, lorsqu’il ne restera pour Dieu que quelques pauvres restes d’intelligence humaine, de corps, de forces, de possibilités, alors, oui : qu’Il prenne ce qu’il restera de la terre. Mais en ce moment il faut nous soucier de la terre, notre terre, qui porte du fruit et sur laquelle il faut laisser une trace impérissable… comme si quelque chose resterait de nous dans une ou deux dizaines d’années après notre mort !

Le Seigneur envoie chercher les troisièmes, qui Lui répondent : l’amour terrestre est entré dans notre vie. Je me suis marié, dois-je vraiment m’arracher à cet amour pour entrer dans le royaume d’un autre amour ? … Oui, l’amour céleste est plus vaste, il embrasse plus profondément que tous les autres ; mais je ne veux pas de cet amour qui embrasse tout. Je veux un baiser personnel, je veux aimer une seule personne de telle façon que personne et rien sur la terre n’ait autant de signification que cette personne n’en a pour moi. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les demeures célestes où l’amour est sans limite, éternel, divin, où il embrasse tout. Ici l’amour a l’échelle de mon cœur humain : laisse-moi, Seigneur, me complaire de mon amour terrestre et lorsque rien n’en restera, alors tu me prendras dans les demeures de Ton amour...

Nous agissons de même : nous nous trouvons une tâche sur terre si urgente que pour les affaires divines, pour la vie avec Dieu nous n’avons pas le temps. Nous nous trouvons un tel amour sur terre que nous n’avons pas l’esprit à l’amour de Dieu. „Quand la mort viendra, nous aurons le temps”: c’est toujours la même réponse à l’amour divin. Le Christ dit : Venez à Moi, vous qui peinez sous le fardeau, et Je vous soulagerai... Je donnerai tout, Je donnerai l’amour : vous vous rencontrerez, gens de Dieu, face à face, - non pas comme sur la terre, où l’on se devine dans le brouillard, où l’on ne se comprend pas et l’on se blesse mutuellement. Vous entrerez dans le Royaume de Dieu et tout sera transparent : la compréhension de l’intelligence, la connaissance du cœur, l’aspiration de la volonté, l’amour : tout sera comme du cristal, clair… Et nous répondons : Non, Seigneur, ce sera pour plus tard : laisse-nous épuiser la terre sur laquelle nous vivons... Et nous puisons, nous vivons, et cela se termine de la façon dont parlent les Ecritures dans l’Ancien Testament : nous ayant donné tout ce qu’elle pouvait, la terre reprend tout ce qu’elle a donné et ce que le Seigneur a donné : tu es poussière et tu retourneras à la poussière… Alors le champ acheté devient cimetière, la tâche qui nous avait détourné de Dieu, de relations vivantes avec les autres et avec Dieu, disparaît même dans la mémoire des hommes ; alors, quand nous entrons dans l’éternité, l’amour terrestre qui nous avait paru si grand nous apparaît comme une étroite cellule de prison…Mais c’est à cause de tout cela que nous avions dit à Dieu : Non ! Nous ne voulons pas de Toi, Seigneur, nous voulons vivre la terre, le travail, l’amour terrestre jusqu’au bout !...

Il y a peu d’élus non pas parce que Dieu les trie sur le volet, non pas parce qu’il en trouve peu qui soient dignes de Lui, mais parce que peu d’entre nous trouvent que Dieu mérite de renoncer à un lopin de terre, une heure de travail, un instant de tendresse… Beaucoup sont appelés, tous nous sommes appelés : qui d’entre nous répondra ? Il suffit de répondre à cet amour par l’amour pour entrer dans le festin d’éternité, dans la vie. N’allons-nous pas répondre à l’amour de Dieu par un seul mot : « je t’aime, Seigneur ! » ? Amen.

Mgr Antoine (Bloom) de Souroge

30 décembre 1973

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