Les saints derrière les barreaux


5 histoires sur la vraie liberté

Les saints en prison en faisaient sauter les verrous de l’intérieur par la force de leur liberté. L’isolement, ils le transformaient en un espace infini. Ils ont enduré les travaux forcés, supporté les humiliations, les interrogatoires, la violence physique, mais qui aurait pu les séparer de l’amour de Dieu ?

 

Saint Clément, pape de Rome et martyr

A la fin du premier siècle de notre ère, durant le pontificat du quatrième pape de Rome, Saint Clément, eut lieu une nouvelle vague de persécutions contre les chrétiens. Le saint fut placé devant un choix : offrir un sacrifice aux dieux ou être envoyé en exil, aux travaux forcés. Il choisit la deuxième solution.

On l’envoyait au bout du monde de l’empire de l’époque : en Crimée, dans une localité située non loin de l’actuelle Sébastopol. Il y avait là une grande carrière de pierre où travaillaient les criminels et les « ennemis de l’empire ». Parmi eux se trouvaient beaucoup de chrétiens. Dans les dures conditions de leur vie de forçats, le saint les fortifia et leur apporta son soutien.

Les prisonniers souffraient du manque d’eau car la source la plus proche était très éloignée. Après avoir prié, Clément leur indiqua un lieu où creuser. Une source fraîche et pure en jaillit.

Le bruit de ce miracle se répandit dans tous les environs. Beaucoup accoururent pour voir le saint et la source qui avait été découverte par ses prières. Certains trouvèrent la foi et reçurent le baptême des mains de l’évêque. Les chrétiens bâtirent une petite grotte dans laquelle Clément célébrait la liturgie la nuit, en cachette. Le nombre de croyants augmentait de jour en jour.

Bientôt, on apprit à Rome que le bagne se transformait peu à peu en un nouveau foyer du christianisme. Un dignitaire arriva en hâte de la capitale de l’empire afin de mener une enquête sur le « lieu du crime ». Tout dénonçait Clément. Le dignitaire ordonna d’attacher une ancre dans le dos du saint et de le jeter à la mer pour que ses disciples ne puissent retrouver son corps.

Les larmes aux yeux, les chrétiens regardèrent la barque de leur saint évêque s’éloigner de la rive pour le mener à la mort. Ainsi périt Clément, quatrième pape de Rome, saint de l’église indivise.

 

Saint Maxime le Grec

Saint Maxime le Grec, higoumène du monastère de Vatopédi, au Mont Athos, fut envoyé à Moscou sur la demande du grand prince Basile III, pour y effectuer la traduction de livres spirituels. Bientôt, le saint acheva une traduction du Psautier qui fut approuvée par le clergé moscovite et le grand prince, et il se prépara à rentrer. Pourtant, Basile III ordonna à Maxime de rester pour continuer ses travaux.

Petit à petit, sous l’œil sévère du saint, se dévoilèrent certains aspects obscurs de la vie sociale russe. Il ne put s’empêcher d’en critiquer les fondements, exhortant à se remémorer les idéaux chrétiens. Il ne craignit même pas de juger ouvertement le désir du grand prince de divorcer. Le concile de 1525 décida du destin du moine, le condamnant à être enfermé dans le Monastère Saint Joseph de Volokolamsk. Une nouvelle période de grandes souffrances avait commencé pour le saint.

Les conditions d’emprisonnement étaient extrêmement austères. On n’autorisa le saint à lire et écrire dans son cachot qu’au bout de six ans. Durant seize ans, le saint moine eut l’interdiction d communier, de converser et de correspondre avec qui que ce soit. Endurant les douleurs de l’isolement, Maxime le Grec écrivit sur le mur, avec un morceau de charbon, un Canon au Saint Esprit. Le saint moine rédigea également un texte autobiographique : « Pensées par lesquelles un moine affligé, enfermé dans son cachot, se consola et se fortifia dans la patience ».

Les dernières années, Maxime le Grec les passa à la Laure de la Sainte Trinité Saint Serge. Malgré les années de souffrance qu’il avait passées dans son cachot et qui avaient altéré sa santé, le saint continua de travailler.

Il mourut, invaincu, loin de son pays, la 86ème année de sa vie.

 

Le saint évêque-martyr Hilarion (Troitski)

Mgr Hilarion (Troitski) était un évêque bien trop actif au goût du pouvoir soviétique. En 1923, il fut arrêté et condamné à trois années de camp. En juin de l’année suivante, il arriva aux Solovki.

Sur les rives du golfe de la Mer Blanche, le saint fut tour à tour pêcheur, fabriquant de filet, bûcheron ou gardien. Au camp, son entrain et son sens de l’humour ne le quittaient presque jamais, bien qu’il gardât toujours la retenue qui sied à un évêque. Un jour, Hilarion (Troitski) dit en parlant des conditions effroyables du camp : «Il faut y avoir été au moins un peu pour comprendre. C’est satan en personne ». Mais dans une lettre à une parente, le saint martyr montre un autre état d’esprit : «Au point où j’en suis, la prison ne m’étonne ni ne m’effraye plus guère. Désormais, je suis habitué, non pas à être en prison mais à y vivre, comme tu vis dans ton appartement. Certes, il y a eu de la laideur dans ma vie, et il y en a toujours beaucoup, mais pour moi la laideur est plus ridicule que pénible».

Le saint évêque réconfortait souvent ses collègues prisonniers. Il n’avait aucun mépris pour les gens « de l’abîme ». Au contraire, il leur témoignait respect et attention. Un tel comportement dérouta au début les fonctionnaires qui n’étaient pas habitués à ces égards, et qui, par la suite, y répondirent par le même traitement : «Dans leurs conversations avec lui, se souvient Boris Chiriaev, ils ne se permettaient jamais de ces plaisanteries déplacées si répandues dans les Solovki ».

Un jour l’évêque-martyr sauva la vie du plus obscur et mal aimé de tous les gardiens du camp, un certain camarade Soukhov. Lors d’une tempête, sa barque fut emportée vers le large, et il semblait impossible de le sauver. Mais l’évêque, réunissant une équipe d’hommes les plus courageux, se précipita à son secours. Bagnards, moines, gardiens, tous ceux qui étaient sur la rive, tombant à genoux, prièrent et attendirent. Enfin, on ramena Soukhov, épuisé, sur le rivage.

En 1926 fut célébré l’unique office pascal de l’histoire des Solovki, que présida l’évêque-martyr lui-même. Cela se passa de la façon la plus secrète, dans une cuisine en cours de construction.

A l’automne 1929, le saint fut de nouveau jugé et condamné à trois ans d’exil, cette fois en Asie Centrale. Hilarion décéda en chemin, d'épuisement et de maladie.

 

Saint Luc (Voino-Iasenetski)

Dans les années 30 du 20e siècle, bien des malheureux parcoururent les sombres couloirs et bureaux de la Loubianka. Saint Luc (Voino-Iasenetski) fut l’un d’entre eux.

Après avoir supporté deux exils, l’évêque fut arrêté pour la troisième fois le 24 juillet 1937 pour avoir fondé une « association religieuse et monastique contre-révolutionnaire ».

On exigea du saint d’avouer avoir fait de l’espionnage, mais l’évêque fut inflexible. En signe de protestation, il commença une grève de la faim. Les enquêteurs décidèrent alors d’employer leur méthode préférée : l’interrogatoire à la chaîne. Celui-ci dura treize jours, de jour comme de nuit, sans interruption. Les tchékistes se succédaient les uns aux autres, ne laissant pas au saint la possibilité de dormir. Plus tard, l’évêque se souvint : «Je commençai à avoir les hallucinations visuelles et tactiles les plus folles, se suivant les unes les autres. Soit il me semblait que des poussins jaunes courraient dans la pièce, et que je les attrapais. Soit je me voyais debout au bord d’un immense trou dans lequel se trouvait toute une ville vivement éclairée par des lampes électriques ». Poussé au désespoir, saint Luc décida de faire peur à ses bourreaux. Il annonça qu’il signerait tout ce qu’ils exigeaient et demanda de lui amener un repas. Se saisissant du couteau, le saint le mit sous la gorge d’un tchékiste, qui eut le temps de l’arracher des mains de l’évêque.

Ils jetèrent à nouveau l’évêque épuisé dans sa cellule, puis ils le transférèrent dans la prison de la région. Dans l’hôpital de la prison, le chirurgien sauva la vie d’un jeune délinquant en posant le bon diagnostic. «A la suite de cela, lors de nos promenades dans la cour de la prison, les criminels du troisième étage me saluaient chaudement et me remerciaient d’avoir sauvé la vie de ce délinquant.».
Deux fois par jour, le saint se mettait à genoux et lisait ses prières. Toute la cellule, à ce moment-là, se calmait : tous écoutaient, les yeux sur lui. Avant d’aller à un interrogatoire, les détenus s’approchaient de Luc pour recevoir sa bénédiction. Tous ceux qui étaient témoins de la vie du saint dans la prison remarquaient sa douceur absolue — il était calme et ne se plaignait jamais. Tout ce que lui envoyaient ses parents et ses proches, il le distribuait à ses compagnons de cellule. 

Mais les souffrances de l’isolement se terminèrent en 1941. Le pays avait besoin de chirurgiens. Saint Luc devint consultant pour tous les hôpitaux de la région de Krasnoïarsk et chirurgien en chef de l’hôpital d’évacuation des blessés de guerre.

 

Saint Nicolas (Velimirovitch)

Durant la deuxième guerre mondiale, la Serbie eut à subir l’occupation allemande et un génocide de masse. D’après les souvenirs de contemporains, saint Nicolas, évêque d’Ochrid et de Zica, connu dans tous le pays, aborda lui-même les occupants avec ces paroles ; «Vous tirez sur mes ouailles à Kraljevo. Mais aujourd’hui je viens à vous afin que vous me tuiez en premier, avant mes enfants».

Pourtant ils ne purent se résoudre à fusiller ce pasteur aimé du peuple. Ils l’arrêtèrent et le placèrent au monastère de Voilovica. Là, pendant quelques années, l’évêque s’occupa de corriger la traduction serbe du Nouveau Testament. Un jour, l’évêque parvint à sauver de l’exécution imminente une famille juive en les conduisant en lieu sûr.

En 1944, avec le Patriarche Serbe Gabriel, il fut transféré au camp de la mort de Dachau. Le patriarche et l’évêque furent internés à l’écart des autres prisonniers, non loin du crématorium. Chaque matin, ils devaient aller vider les seaux des toilettes dans les égouts. Lors de ses rares minutes de repos, saint Nicolas tenait un journal qui fut publié plus tard sous le titre «A travers les barreaux de la prison».

Le travail pénible et humiliant du camp brisait parfois le saint évêque, ce dont il se souvint plus tard : «Au camp, parfois, on se terrait dans un coin et on se répétait : « Je ne suis que poussière et cendre. Seigneur, reçois mon âme ! » Et soudain l’âme était emportée vers le ciel et voit Dieu face à face. Ne pouvant supporter cela et on Lui disait : « Je ne suis pas prêt, je ne peux pas, fais moi retourner sur terre ! » Puis, de nouveau, pendant des heures, on restait assis à répéter : « Je ne suis que poussière et cendre. Seigneur, reçois mon âme ! » Et soudain, à nouveau, le Seigneur vient te chercher…»

Ce n’est que le 8 mai 1945 que le saint évêque Nicolas  fut libéré par les soldats américains. Toutefois, l’arrivée des communistes au pouvoir en Serbie l’empêcha de rentrer chez lui.

Le saint finit ses jours en exil, loin de son pays, dans l’Etat américain de Pennsylvanie.

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